Un matin, un 23 mars précisément, le téléphone a sonné à 5 h. Dès l’instant où j’ai décroché, j’ai franchi une frontière que je ne pourrais plus jamais franchir dans l’autre sens : on venait de retrouver mon fils, mort, et je devenais, par le fait même, une endeuillée.

 

Il est difficile d’imaginer le choc qui accompagne une telle nouvelle. Un accident, une maladie, ça fait mal, c’est dur à encaisser. Mais qu’une personne au faîte de ses capacités choisisse délibérément d’en finir, seule, sans un au revoir à ses proches et à tous ceux et celles qui l’aiment, voilà qui dépasse l’entendement. Mon fils Francis a eu ses passages à vide, comme tout le monde. Ça ne l’empêchait pas d’avoir un esprit vif et de nourrir de grandes ambitions. C’est tout un avenir qui se trouve irrémédiablement gâché par ce départ précipité. Qui sème de pourquoi le parcours des parents et amis, impuissants, pour de longues années.

 

Les endeuillés que nous sommes devenus, ses frères, sa sœur, son père et moi, et par extension, ses amis, avons dû composer sans préparation aucune à des situations hautement difficiles. Une culpabilité écrasante notamment. Aurions-nous dû voir quelque signe avant-coureur? Qu’aurions-nous pu faire pour prévenir un tel geste? Comment réapprendre à rire, sans nous sentir mal de le faire?

 

C’est en regardant le film Sans toi (Melanie L. Dion et Alexandre Hardy) qu’une porte s’est enfin ouverte devant nous. Avant même que les lumières de la salle se rallument, mon fils aîné a littéralement éclaté en sanglots, noyé dans sa peine (près d’un an après le drame). Tout de suite, une intervenante de Suicide Action Montréal, présente sur les lieux, est venue à sa rescousse et pendant une heure et demie, elle a su trouver les mots pour le calmer et lui redonner une certaine sérénité. Elle a proposé un suivi, qu’il a accepté. D’abord seul, puis accompagné de sa sœur, il a rencontré un intervenant de l’organisme avec qui sa sœur et lui (de jeunes adultes) ont pu parler librement de leurs sentiments, de leur peine et de leurs remords. Sans crier victoire trop vite, on peut dire que c’est à partir de ce moment que le processus de guérison s’est enclenché. Le reste est une question de temps, de tout petits pas à la fois.

 

Rares sont les spécialistes dans le domaine du suicide ici et ailleurs dans le monde, un phénomène encore tabou. Mais avec une moyenne de trois suicides chaque jour au Québec, a-t-on les moyens de se cacher la tête dans le sable? Plus inquiétant encore, a-t-on les moyens de se priver d’un organisme comme Suicide Action Montréal (SAM), composé principalement de bénévoles qui doivent parlementer chaque jour avec des gens qui se sont volontairement placés dans l’antichambre de la mort? Qui se spécialise aussi bien dans la prévention du suicide que dans la formation des intervenants et des proches et le soutien aux endeuillés? Et qui élargit la notion d’endeuillés aux amis de la personne disparue et qui sont parmi les seuls à le faire? Les coupes gouvernementales des dernières années ont été particulièrement sévères et chaque fois, les administrateurs de SAM doivent déployer des mesures exceptionnelles pour ne pas se voir dans l’obligation de mettre la clé sous la porte, ce qui s’avérerait catastrophique pour la société montréalaise en général.

 

Non, le suicide n’est pas un sujet glamour. C’est davantage un fléau que bien peu de gens et d’organismes acceptent de prendre à bras le corps. Donnons à SAM les moyens de se faire connaître et de soutenir son combat contre ce mal profond et insidieux qui afflige tant de gens, que ce soit avant ou après l’acte. Le Défi25 – 25 ans de Francis, don de 25 $ – est le moyen que j’ai mis sur pied pour remercier  SAM de nous avoir permis, à ma famille et à moi-même, d’apprendre à vivre avec cette perte. Je vous remercie à l’avance de soutenir cet organisme vital qu’est Suicide Action Montréal.